Économie – La crise de 1929 : Théories et Interprétations

La notion de crise renvoie traditionnellement à un retournement de situation (phase B du cycle), elle fonctionne comme une « purge » qui doit résorber les déséquilibres. C’est la première approche retenue par ses contemporains pour analyser la crise de 1929. Mais la crise peut renvoyer plus fondamentalement à une rupture du mode de régulation économique, induisant alors des changements économiques et sociaux durables. C’est l’hypothèse qui a été privilégiée plus tardivement. La crise de 1929 : crise traditionnelle ou crise spécifique ?

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I. Les explications traditionnelles sont insuffisantes

I.1. Les lectures libérales de la crise

Pour les libéraux, la crise est un phénomène transitoire et exogène, qui ne remet pas en cause la stabilité générale du système capitaliste.

Pour les économistes contemporains de la crise, sa gravité est à mettre en relation avec les entraves aux mécanismes du marché qui se sont accrues dans les années 20. Lionel Robbins, dans son ouvrage La grande dépression : 1929-1934, dénonce la montée des négociations collectives pour la détermination des salaires, ainsi que les désordres monétaires et financiers de l’après-guerre (politique monétaire expansive, développement du crédit à la consommation). Ce type d’argument est repris par Jacques Rueff pour la France : les progrès syndicaux expliquent une plus grande rigidité du marché du travail. Les salaires étant rigides à la baisse, les profits diminuent, et avec eux le niveau de l’investissement et de la production. D’où la notion de « chômage volontaire ».

Des analyses plus tardives sont délivrées par le monétariste Milton Friedman (dans son Histoire monétaire des Etats-Unis, 1960). La crise, au départ traditionnelle, a été aggravée par l’attitude irréfléchie du Fed, qui n’a pas joué son rôle de prêteur en dernier ressort, et a laissé les banques et entreprises s’asphyxier par manque de liquidités. (La masse monétaire a diminué de près d’un tiers entre 1929 et 1933.)

 

I.2. Des analyses hétérodoxes

Pour Schumpeter, la crise de 1929 s’inscrit tout à fait dans le cadre traditionnel de l’analyse des cycles économiques. Seul le hasard a voulu que se juxtaposent à cette date le retournement de trois types de cycles : Kondratieff (25-50 ans), Juglar (8-10 ans) et Kitchin (2-4 ans). Ceci expliquerait donc l’ampleur sans précédent de la crise.

Pour les marxistes, les crises sont inéluctables et endogènes. Elles ne sont que l’expression des contradictions internes au capitalisme. Pour Eugène Varga (La crise économique, sociale et politique, 1934), la crise de surproduction de 1929 trouve son origine dans un double mouvement de suraccumulation et de concentration de la richesse d’un côté, et de paupérisation de la population de l’autre. Le système capitaliste est amené à subir des crises de plus en plus violentes, jusqu’à sa disparition.

Irving Fischer s’intéresse davantage aux facteurs financiers de la crise dans son analyse de « la déflation par la dette ». La croissance des années 20 a été tirée par l’endettement. Mais un endettement excessif pousse les agents à se désendetter car ils viennent à manquer de liquidités : ceux-ci se mettent donc à vendre leurs actifs ; l’investissement, la consommation et les dépenses publiques s’amenuisent, ce qui entraîne une déflation. Celle-ci ne fait que surenchérir le poids de la dette des agents, qui se consacrent alors davantage au désendettement et renforcent d’autant la déflation. C’est une spirale cumulative.

Mais ces analyses traditionnelles peinent à appréhender la complexité de la crise, qui, par son ampleur et ses conséquences, semble annoncer la fin des mécanismes économiques du monde classique.

 

II. La crise engendre donc un renouveau de l’analyse économique des crises

II.1. La crise de 1929 à l’origine de la pensée keynésienne

Dans la Théorie générale (1936), Keynes prend le contre-pied de l’analyse classique traditionnelle. Il constate en 1929 une situation d’équilibre de sous-emploi (surproduction + chômage), qui contredit la loi de Say. La baisse des salaires, préconisée par les classiques, n’apparaît pas comme une solution satisfaisante, car elle aboutirait à une baisse de la demande et de la production, et donc à une hausse du chômage. Une intervention de l’Etat est donc nécessaire, sous la forme d’une politique de relance (déficit budgétaire, politique monétaire de taux d’intérêt bas, politique de redistribution).

Dans les années 60, la lecture de la crise de 1929 sera effectivement keynésienne : on estime que des politiques de relance plus précoces et plus systématiques auraient permis d’éviter la dépression. Pourtant, les pratiques pré-keynésienne menées à l’époque (New Deal aux Etats-Unis, Front populaire en France) n’ont pas été pleinement concluantes. On a pu calculer que pour compenser la baisse de régime aux Etats-Unis, il aurait fallu consentir à un déficit public représentant 50% du budget de l’Etat !

 

II.2. Les nouvelles hypothèses de l’école de la régulation

La période précédant la crise (de 1850 aux années 1920) se caractérise par un mode de régulation concurrentiel (flexibilité du travail, faible intervention de l’Etat dans l’économie), qui repose sur un régime d’accumulation extensive (par l’utilisation d’une plus grande quantité de facteurs). Or, depuis le début du siècle commence à se développer notamment au Etats-Unis un régime d’accumulation intensive (par la hausse de la productivité des facteurs), qui est bloqué par le manque de débouchés : la production de masse voit le jour grâce aux forts gains de productivité (taylorisme, fordisme), mais elle ne débouche pas sur une consommation de masse, en raison de la faiblesse des gains de pouvoir d’achat. Ce qui aboutit logiquement à la crise de surproduction de 1929.

La crise n’étant pas classique dans ses origines, ne se résoudra pas automatiquement. Il est donc nécessaire d’agir sur les formes institutionnelles de la régulation : face au mouvement continu de concentration de l’offre des entreprises, les règles de la concurrence sont déjouées. Les autres agents doivent s’adapter à ce nouveau mode de régulation de type monopolistique: les salariés en développant les négociations collectives ; l’Etat en intervenant pour soutenir la demande.

La crise de 1929 inaugure donc une nouvelle ère économique : celle d’un mode régulation monopolistique, qui repose sur un régime d’accumulation intensive.

F.Teulon et S. Tulliez

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