La liberté d’expression des journalistes est-elle en voie de disparition en France ?

Le vice-président des Etats-Unis a poussé la question à l’extrême lors d’une conférence à Munich en février dernier : la liberté d’expression en Europe est sérieusement menacée. Et, selon lui, ce recul est le principal facteur du déclin de l’Europe. Bref, l’Europe renie ses propres valeurs et devient le continent de la censure. Qu’il s’agisse de la censure de ceux qui ont suggéré que la Covid-19 pourrait venir d’une fuite de laboratoire à Wuhan, de citoyens britanniques privés de liberté d’expression au sujet de l’immigration sur les réseaux sociaux, de l’interdiction de prier à proximité des cliniques d’avortement….

 

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JD Vance souligne la contradiction entre de nombreuses atteintes à la liberté de tout dire et les fondamentaux des Lumières qui constituent le socle même des systèmes démocratiques occidentaux. Les principes inscrits dans la Constitution américaine de 1787 et dans la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1789 ne peuvent pas s’appliquer sans la libre circulation des opinions. Cette dernière permet d’optimiser le processus politique en assurant des décisions efficaces et légitimes aux yeux des citoyens. Selon les défenseurs d’une liberté totale d’expression, la collectivité doit tolérer davantage les opinions impopulaires et controversées, même sur les questions les plus sensibles.

JD Vance dénonce la montée de la censure en Europe. Il remarque un effort coordonné, à tous les niveaux, pour limiter les opinions impopulaires dans l’espace public. Cet effort vient notamment des défenseurs du multiculturalisme et des idées progressistes. Selon le vice-président des Etats-Unis, l’espace réservé aux propos jugés acceptables se réduit à mesure que la mosaïque d’identités de niche s’étend en Europe de l’Ouest. Le « politiquement correct » crée un climat de restriction générale des libertés.

En France, une partie de la classe politique dénonce aussi une remise en question de la liberté d’expression de la presse, pourtant garantie par la loi de 1881, pilier de la République française. Cette loi détermine un cadre très large de la liberté d’expression avec les limites que l’on connaît, celles qui touchent la diffamation, en réalité la diffusion de fausses nouvelles qui nuisent à un citoyen. Peuvent faire aussi l’objet de poursuites, les informations et opinions qui relèvent du racisme et de l’antisémitisme et qui tombent notamment sous le coup de la loi Gayssot de 1990.

Ce qu’une partie de la classe politique française critique surtout, c’est la volonté de réguler l’activité éditoriale des médias par le biais de l’organisme Arcom, qui exerce un contrôle permanent sur l’information et veille à l’égalité du temps d’antenne des différentes formations politiques, au nom de l’équilibre démocratique. L’Arcom est devenue une cible de choix, en particulier quand elle a décidé de ne pas renouveler le fréquence TNT de la chaîne C8, fleuron du groupe Bolloré. La régulation de l’Arcom, qui ne concerne que la sphère de l’audiovisuel et de l’Internet, peut apparaître comme un système, certes officiellement indépendant, mais en réalité imposant un cadre de bienséance et de conformité aux journalistes et autres acteurs du système audiovisuel. Il faut ajouter qu’il est question de créer l’équivalent de l’Arcom dans le domaine de la presse écrite.

Réguler est-il l’équivalent de censurer ? Contrôler les contenus et les temps d’antenne constitue-t-il déjà en soi une forme de limitation forte de la liberté d’expression ?

Il convient de rappeler qu’en France, il existe une forme d’autorégulation du travail journalistique par le biais de la déontologie dont les principes sont fixés par les différentes Chartes du Journalisme, dont la plus connue est celle de 1938. La déontologie du journalisme fixe des principes simples, comme la vérification systématique des informations et des sources et l’indépendance des journalistes par rapport aux pouvoirs politiques et économiques. La déontologie est la condition sine qua non de la crédibilité des journalistes et des médias. Dans un monde idéal, les principes de la déontologie suffiraient à garantir un exercice total d’une liberté vertueuse dans le journalisme.

La régulation réduit de fait l’exercice de la liberté d’expression mais son rôle consiste en réalité à lutter contre les débordements et les dérapages, globalement liés au non-respect de la déontologie.

Si les journalistes étaient toujours vertueux et totalement indépendants des pouvoirs, il n’y aurait pas besoin de les surveiller, de les recadrer et de les sanctionner. Et si toutes les opinions et informations se valaient ou étaient respectables a priori, il n’y aurait pas besoin de brandir la possibilité d’une plainte et d’une punition.

En réalité, la régulation est une garantie supplémentaire de la qualité des informations données par les journalistes. On voit que l’absence de contrôle efficace des réseaux sociaux et de leurs contenus a entraîné la prolifération des fake news et des théories complotistes ou obscurantistes. Ceux qui pensent qu’on a le droit de tout dire, que toutes les informations et opinions se valent, que les pouvoirs économiques et politiques peuvent posséder autant de médias qu’ils le souhaitent, quitte à risquer des situations de monopole, considèrent que la liberté est le principe fondamental, indépassable, qui crée les conditions de l’exercice de la démocratie et de la confrontation des idées. Or, dans le domaine des médias, la liberté totale aboutit à une dénaturation du fonctionnement démocratique et de la profession de journaliste.

La liberté du journaliste n’est pas remise en question par les autorités de régulation. En revanche, le manque systématique d’honnêteté et de conscience professionnelle peut très rapidement affaiblir la crédibilité de la profession auprès de l’opinion publique. Comme l’empiétement des pouvoirs économiques et politiques qui peuvent envisager de porter atteinte à l’indépendance des journalistes. Au nom de leurs intérêts propres et supérieurs. Un journaliste instrumentalisé n’est plus en mesure de produire une information de qualité.

Un journalisme honnête, professionnel, indépendant est le garant de liberté d’expression, de la qualité de l’information et de la crédibilité des médias. Et c’est en cela que l’exercice du métier de journaliste prend sa place et joue son rôle dans la République française. Dans un pays libre.

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