Approche introductive

             Le thème d’année 2019 proposé à notre réflexion est le désir ; et s’interroger sur le désir c’est donc le prendre en tant que tel pour objet de notre réflexion, c’est s’interroger exclusivement sur son concept, l’envisager en lui-même, pour lui-même, soit dégagé de tout objet en quelque sorte afin de ne traiter que le désir. En effet, ce thème ne nous interroge pas sur le désir « de », comme le désir de puissance ou de gloire par exemple, ni même les désirs, comme les désirs de richesses ou de plaisirs sexuels… Non, on ne nous questionne pas sur le désir de quelque chose en particulier ni sur les désirs mais bien sur le désir seul. Cependant, une pareille interrogation exclusivement centrée sur le désir, j‘insiste, interrogation vidée de tout objet, hors de tout contenu, est-elle seulement possible ? Et même a-t-elle encore un sens ? Peut-elle d’ailleurs seulement avoir un sens ?

ALERTE PROBLEMATIQUE N°1 : OU SE POSE LA QUESTION DE LA POSSIBILITE MEME DE LA CONNAISSANCE DU DESIR s’interroger sur le désir seul est-il possible ? plus que sur le désir pris en lui-même ne faut-il pas s’interroger sur l’objet du désir ?

1/ Première partie : « pas d’objet, pas de désir! »
1/a. une première définition du désir 

             C’est qu’une interrogation portant sur le désir considéré en lui- même court le risque d’être vide, parce qu’envisager le désir sans objet -et c’est une lapalissade- le rend par le fait même sans objet ! Mais si c’est le cas, alors le désir sans objet est vide, et désirer le vide ou rien, n’est-ce pas tout simplement ne pas désirer ? On désire apparemment toujours quelque chose, et la langue française exige même que soit systématiquement indiqué en complément l’objet de notre désir. Et c’est vrai que tout désir est incontestablement désir « de », désir d’être chez Sartre ou conjointement désir d’avoir et d’être chez Platon qui le souligne d’emblée dans l’ouvrage qui étudie le désir, le Banquet :

« Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour » PLATON, Le Banquet, 200e. 

Saisie d’un manque dans l’ordre de l’être, conscience d’un manque dans l’ordre de l’avoir qui nous porte à désirer l’objet manquant, telle est la définition première du désir. C’est d’ailleurs ce que signifie son étymologie latine tirée du verbe « desiderare » terme dérivant lui-même du latin « siderius » signifiant étoile, terme appartenant au vocabulaire des oracles qui par ce vocable signifiaient l’absence d’une étoile dans le ciel, un manque donc, puis plus généralement ce verbe a signifié « regretter l’absence de quelque chose ». Etudier le désir en le détachant de tout objet a-t-il dès lors un sens ? Que pourrait bien signifier l’expression seule «regretter l’absence » ? Pire, ce serait avouons-le même absurde comme le souligne encore Platon dans Le Banquet en 203c :

« car enfin nul ne désire les choses dont il ne se croit point dépourvu. »

Pour désirer, il faut prendre conscience de la chose qui nous manque ! Par analogie, il semble que se lancer dans l’étude du désir sans objet revienne à étudier la vue sans évoquer un quelconque objet par elle vu : et quand on ne voit aucun objet, en fait, on ne voit rien. Que dire alors de pertinent sur la vue quand justement on ne voit rien ? Détacher la vue de ce qu’elle voit i.e. de ses objets permet-il une étude pertinente de ce phénomène qu’est la vue ? Surtout que, d’un strict point de vue chronologique on ne peut s’interroger sur la vue parce que nous avons d’abord vu des choses : l’aveugle n’interroge pas la vue parce qu’il ne peut s’en faire aucune idée. N’en va-t-il pas de même pour le désir, qui, sans objet, reste d’ailleurs virtuel, latent, comme endormi, inactif parce qu’inactivé, bref vide ? Et c’est vrai que si on ne manque de rien, alors on ne désire pas, car quand on ne désire aucun objet, on ne désire tout simplement pas. Sans objet, comme pour la vue, il n’est donc apparemment pas possible de l’observer semble-t-il, encore moins de le cerner, et même impossible de le faire naître.

             L’usage commun du terme dans la langue française exige comme on l’a évoqué pour avoir du sens que celui-ci soit systématiquement accompagné d’un complément désignant l’objet désiré ainsi dire « je désire » ou « je ressens du désir » est une assertion sans sens qu’on nous demandera toujours de préciser, « d’objectiver ». En effet, en bonne logique on se doit de toujours désigner l’objet désiré pour que la phrase ait un sens en français, ne serait-ce que de façon vague comme le fait Baudelaire en baptisant un de ses petits poèmes en prose « le désir de peindre ». Même si Baudelaire semble au début parler de désir sans objet, il lui donne bien vite une destination :

« Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire ! Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. »

Le désir désignant un élan vers un objet ou une personne est donc un terme nécessairement relatif à un objet, et qui apparemment ne prend sens et n’a de réalité que quand on lui attribue un objet, que quand on dit vers quoi ou vers qui nous porte cet élan, car parler d’un élan « vers » sans désigner vers quoi il s’élance demeure absurde ! Ne désirer aucun objet, revient à s’élancer vers le rien, le sans objet, alors, s’élance-t-on seulement ? Ainsi ce terme n’a de sens semble-t-il que s’il est relié à un objet, car un élan vers rien ou vers l’indéfini n’est plus un élan ! Maintenant reste à déterminer les rapports entre l’objet et le désir : est-ce l’objet qui cause le désir en l’éveillant ou bien est- ce le désir qui détermine l’objet à désirer ?



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