Le capital se substitue-t-il au travail ?

C’est une crainte séculaire. Elle traverse les âges, des « briseurs de machines » inspirés par l’anglais Ludd en 1811 à la révolte des canuts de Lyon en 1831, qui semblent des préludes à la grande crise sociale européenne de 1848, au terme de laquelle des ateliers nationaux mettront au travail des chômeurs devenus trop nombreux.

La seconde révolution industrielle, et les emplois crées directement comme indirectement par le développement des chemins de fer ailleurs qu’en Angleterre, sont venus calmer tout ce petit monde et redonner foi en le progrès technique, jusqu’en 1873 quand retentit le krach de la bourse de Vienne et que débute la première grande dépression.

Au fil du temps et au gré de ce machinisme triomphant, exit beaucoup d’ouvriers de leurs entreprises de textile, de cochers, de fabricants de calèches où s’émancipait Emma Bovary. Mais le XIXème siècle, au cours duquel se sont généralisées des innovations conduisant à parler de révolutions industrielles n’a-t-il pas permis « d’absorber » un supplément de population active d’une Angleterre multipliant sa population par deux ? N’a-t-il pas été ce « siècle de mise au travail » (Marchand et Thélot, Le travail en France 1800-2000) ?

Mais ce que la croissance fait oublier, toute crise le rappelle. A chaque crise, la question resurgisse et trouve plus d’écho. Ainsi, deux siècles après le mouvement luddiste, les craintes sont toujours présentes, car « The future of employment » laisserait présager, selon Frey & Osborne en 2013, la disparition de 47% des emplois des pays de l’OCDE. Le grand fautif cette fois ? Le numérique. Au-delà des chiffres prospectifs, même réévalués à la baisse – moins de 10% des emplois le seraient en fait selon par l’OCDE – la question demeure : les innovations d’aujourd’hui ne seraient-elles pas plus destructrices d’emplois nets que celles du passé ?

Marx considérait le fait pour des capitalistes de substituer du capital au travail et d’élever chacun la combinaison organique du capital comme une « loi du mode d’accumulation capitaliste ». Dans une concurrence mettant tout « sens dessus dessous », les capitalistes, individuellement, n’auraient ainsi pas conscience du caractère collectif de leur comportement qui amenuiserait la source même de la valeur – le travail source de mehrwerk (surtravail) et de plus value – et après transformation de la valeur en prix, du profit, fondement même de leur investissement et de leur existence. La contradiction serait ainsi plus encore systémique : les capitalistes ne feraient ainsi que révéler une contradiction intrinsèque au capitalisme et seraient les acteurs inconscients de sa perte. Et de la leur.

Faut-il alors s’étonner d’un certain « retour de Marx »  en ce premier quart du XXIème siècle, au moment où, structurellement, la robotisation, le numérique, l’intelligence artificielle inquiètent quant à leurs conséquences en termes d’emploi ? Le capital – entendu ici dans un premier temps au sens originel de capital physique, induit par la formation brute de capital physique (FBCF) – risque-t-il de se substituer au travail aujourd’hui plus que par le passé ?

Les problématiques structurelle et conjoncturelle se rejoignent en ce que la crise de 2020 offre peut-être à des entreprises, dont toutes ne sont pas exposées à une baisse de leur chiffre d’affaires, de pouvoir profiter du chômage partiel mais aussi d’accélérer la flexibilisation du travail, le travail à distance – qui peut permettre abaissement des coûts fixes comme variables – et d’avoir davantage recours à du travail indépendant et à un précariat que l’on annonçait déjà avant la crise.

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