DSCG Droit des contrats : commentaire d’arrêt

Cass. com., 7 juillet 2021, n° 19-22.807 et 19-22.956 (Droit des contrats)

Dans le cadre de ses préparations au DSCGIpesup propose un commentaire des principaux arrêts en relation avec le programme de Droit en UE 1, par Stephen ALMASEANUvice-procureur chargé des affaires commerciales au tribunal de commerce de Paris, professeur à l’Ipesup.

 

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Cet arrêt, qui n’innove guère, est toutefois extrêmement intéressant pour qui veut comprendre et réviser quelques principes fondamentaux du droit des contrats.

 

Dans cette affaire déjà passée devant la Cour de cassation (Cass. Com., 14 février 2018, n° 17-11.924) était en jeu un contrat de télésurveillance de service de sécurité ainsi qu’un contrat « multi-services » de maintenance ou de télé-maintenance. Une société, qui avait souscrit un tel contrat, fut tout de même cambriolée, sans que l’alarme ne fonctionne d’ailleurs. Elle fut alors indemnisée par son assureur qui, subrogé dans ses droits du fait du paiement, assigna la société fournisseur en responsabilité, en demandant que cette dernière soit condamnée à hauteur de 95 % des conséquences du vol et à des dommages-intérêts.

 

La Cour d’appel avait rejeté la demande de l’assureur. Pour cela, elle avait appliqué une clause présente dans le contrat d’installation et de maintenance du système d’alarme, clause qui subordonnait justement le succès de l’action en responsabilité contre l’installateur de l’alarme à la preuve de la faute de ce dernier en cas de dysfonctionnement (article 5.6 du contrat). Elle avait considéré que le non déclenchement de l’alarme en l’espèce ne prouvait pas, en soit, que l’alarme était défaillante.

 

Le demandeur à la cassation faisait valoir des arguments faisant appel à des notions que tous les étudiants en droit des contrats doivent connaître.

 

Il affirmait tout d’abord que l’installateur d’une alarme est toujours tenu d’une obligation de résultat, le rendant responsable de tout dysfonctionnement. Il n’y avait ainsi pas d’autre preuve à réclamer de l’assuré : le fait que l’alarme ne se soit pas déclenchée suffisait, sans qu’il y ait de faute à démontrer. Il ajoutait que la Cour d’appel avait eu tort d’appliquer la clause prévue à l’article 5.6 du contrat de télésurveillance, car cette clause, en faisant peser sur le client le risque d’un dysfonctionnement inexpliqué, déchargeait le fournisseur de son obligation essentielle, et devait donc être réputée non écrite.

 

On retrouve ainsi, dans cette riche argumentation :

 

1) la grande distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat, introduite par le grand professeur René Demogue dans les années 1920. Il s’agit ici d’expliquer que, dans les contrats, selon leur nature même ou selon les prévisions des parties, la portée de l’engagement de ces dernières peut varier : parfois, elles s’engagent tout simplement à s’exécuter (par exemple à payer, ou à construire une maison, donc à un résultat) et parfois, parce qu’il est impossible ou difficile de garantir un tel résultat, à mettre en œuvre tous les moyens possibles pour y parvenir (c’est ainsi que la cour de cassation a choisi en 1936, dans l’arrêt Mercier, de faire porter au médecin, concernant les soins, une obligation de moyens [avec, toujours, un « s » à « obligation de moyens »] – soigner le patient conformément aux données acquises de la science – et non de résultat – le guérir ; il en est de même de l’avocat, et de beaucoup de professions libérales, conformément d’ailleurs aux prescriptions initiales de Demogue).

 

Concrètement, cette distinction a bien sûr des conséquences sur la responsabilité contractuelle : en cas d’obligation de résultat, le contractant est toujours responsable, sauf force majeure – par exemple dans le contrat de transport de personnes depuis 1911 –, alors qu’en cas d’obligation de moyens la victime du dommage devra prouver sa faute dans l’exécution du contrat. Il faut d’ailleurs voir les choses ainsi : la logique contractuelle est celle de l’exécution, donc de l’obligation de résultat, mais cette dernière est parfois impossible ou difficilement atteignable, ce qui explique les obligations de moyens.

 

2) la question lancinante du sort à donner aux clauses élusives ou réductrices de responsabilité. On le sait, la cour de cassation, à partir d’un arrêt aussi célèbre que discuté, l’arrêt de la chambre commerciale Chronopost du 22 octobre 1996, avait décidé, sur le fondement de la théorie de la cause (article 1131 du Code civil de l’époque), que les clauses qui contredisent l’obligation essentielle née d’un contrat doivent être réputées non écrites, car on ne peut pas promettre quelque chose à titre principal, et vider cette promesse de toute substance en stipulant dans le même temps son absence de responsabilité en cas de non-succès. L’idée semblant logique, au-delà de la technique juridique, le législateur a considéré que la règle devait survivre à la suppression de la cause lors de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, et a, pour ce faire, ajouté l’article 1170 dans le Code civil, aux termes duquel « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

 

La question posée par notre affaire démontre qu’il ne faut bien sûr pas confondre les deux questions. On peut la résumer ainsi : est-il possible, pour un contractant, d’aménager son obligation essentielle née du contrat en en faisant une obligation de moyens ? Ou alors, au contraire, une obligation essentielle ne peut-elle être qu’une obligation de résultat ?

 

La réponse de la Cour de cassation, qui valide l’application de la clause par la cour d’appel, est très claire :

« 14. L’arrêt retient encore que la clause litigieuse n’a pas pour effet de décharger par avance [le fournisseur] de sa responsabilité en cas de manquement à une obligation essentielle lui incombant et qu’en répartissant expressément le risque et la limitation de responsabilité qui en résulte, elle ne prive pas la société [cliente] de toute contrepartie. Il en déduit exactement que cette stipulation n’a pas pour effet de vider de toute substance l’obligation essentielle de bon fonctionnement de l’installation et que sa contrariété avec la portée de l’engagement [du fournisseur]n’est pas établie ».

 

En effet : rien n’interdit d’aménager, dans un contrat, son obligation essentielle comme une obligation de moyens, sauf à démontrer que cela vide cette obligation essentielle de toute substance au sens de l’article 1170 précité du Code civil (ainsi, pour ne prendre que cet exemple, le fait que l’obligation de l’avocat concernant le procès soit une obligation de moyens ne la vide nullement de sa substance : simplement, pour engager sa responsabilité, il faudra prouver une faute… comme ici).

 

C’est une évidence, mais dont le rappel est loin d’être inutile : une obligation essentielle peut être une simple obligation de moyens, sans être pour autant vidée de sa substance.

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