DSCG Droit des entreprises en difficulté : commentaire d’arrêt

Cass. com., 16 juin 2021, n° 19-17.186 (Droit des entreprises en difficulté)

 

Dans le cadre de ses préparations au DSCGIpesup propose un commentaire des principaux arrêts en relation avec le programme de Droit en UE 1, par Stephen ALMASEANUvice-procureur chargé des affaires commerciales au tribunal de commerce de Paris, professeur à l’Ipesup.

 

www.courdecassation.fr

(Dalloz Actualité, 28 juin 2021, obs. B. Ferrari)

Une des évolutions importantes du droit des créanciers dans les procédures collectives a été l’évolution du rôle de la liste des créanciers devant être fournie par le débiteur (ancien article 52 de la loi du 25 janvier 1985). Cette obligation se trouve désormais inscrite dans l’article L. 622-6 alinéa 2 du Code de commerce : « Le débiteur remet à l’administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie », cette déclaration étant importante puisqu’elle permet l’information « des créanciers connus » (article R. 622-21 du Code de commerce) qu’ils ont à déclarer leur créance dans le délai de deux mois.

 

Sur ce terrain, la situation des créanciers a continué à s’améliorer par la suite, notamment grâce à la modification de l’article L. 622-26 du Code de commerce par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, texte qui reçoit application en l’espèce.

 

En l’espèce, le créancier d’une société tombée en liquidation judiciaire saisissait le juge-commissaire en relevé de forclusion : certes, il n’avait pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois prévu par l’article R. 622-24 du Code de commerce, mais ledit juge-commissaire prononçait le relevé de forclusion car le créancier n’avait pas été inscrit sur la liste, cette décision étant confirmée par la Cour d’appel de Paris le 28 mars 2019. Le liquidateur de la société, dans son pourvoi, contestait ce relevé de forclusion car il n’était établi aucun lien de causalité entre la tardiveté de la déclaration de créance et l’omission par le débiteur de ce créancier sur la liste. Autrement dit, le liquidateur contestait la solution retenue en l’absence de causalité établie entre le fait que le créancier ne figurait pas sur la liste et le fait que ce dernier n’ait pas déclaré sa créance dans les deux mois.

 

Sans surprise, la Cour de cassation rejette ce pourvoi, car la Cour d’appel de Paris avait parfaitement appliqué le droit existant dans son arrêt précité.

 

En effet, l’article L. 622-26 du Code de commerce prévoit les règles de la forclusion, ses effets (la non-participation aux distributions et non plus l’extinction des créances prévue sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985) et le possible, mais difficile, relevé de forclusion, par une action devant être exercée devant le juge-commissaire dans un délai de six mois à compter du jugement d’ouverture. Le texte distingue deux cas de relevé de forclusion pour les créances qui n’ont pas été déclarées dans les deux mois : « à défaut de déclaration dans les délais prévus à l’article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s’ils établissent que leur défaillance n’est pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission du débiteur lors de l’établissement de la liste (…) ».

 

Le premier cas de relevé de forclusion, qui est le cas classique, est extrêmement difficile à satisfaire : le créancier doit prouver que sa défaillance n’est pas due de son fait, autrement dit qu’il n’a rien à se reprocher car il n’a pas respecté le délai de deux mois pour des raisons indépendantes de sa volonté ; par exemple, mais les cas sont rares, une totale interruption des services postaux (Cass. com., 2 avril 1979, n° 77-12.999) ou encore un état profond de détresse psychologique du créancier pendant le délai (CA Rouen, 23 février 1912, Rev. proc. coll. 2012, comm. 140, F et M. N. Legrand).

 

Le second cas date de la loi du 26 juillet 2005, et a été modifié par l’ordonnance précitée du 12 mars 2014 : il s’agit, nous l’avons vu, de l’omission de la liste par le débiteur. Avant la réforme de 2014, le texte visait d’ailleurs la seule omission volontaire : le créancier, pour bénéficier de la forclusion, devait démontrer ce caractère, ce qui n’était pas simple…

 

C’est la raison pour laquelle le texte a été modifié, et n’exige plus depuis 2014 cette démonstration : désormais, le créancier, pour être relevé de forclusion, ne doit plus établir que cette défaillance « est due à une omission du débiteur lors de l’établissement de la liste ».

 

S’il faut tout de même démontrer que la défaillance « est due » à l’omission, cela ne veut-il pas dire qu’il faut démontrer l’existence d’un lien de causalité certain entre les deux ? Cette nécessité, qui semble exigée par le texte, ne serait pas scandaleuse, mais elle rendrait la forclusion extrêmement difficile à obtenir : comment, en effet, démontrer ce lien de causalité ? Le caractère particulièrement difficile, voire impossible, d’une telle preuve, explique certainement que la Cour de cassation ait opté pour une solution beaucoup plus favorable à l’égard du créancier : « le créancier qui sollicite un relevé de forclusion n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre son omission de la liste et la tardiveté de sa déclaration de créance » a-t-elle ainsi affirmé dans deux arrêts de 2012 et 2013 (Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-28.501, Rev. sociétés 2012, p. 195, obs. Ph. Roussel Galle et Cass. com., 9 avril 2013, n° 12-11.713, RTD Com., 2013, obs. A. Martin-Serf), solution qu’elle reprend ici mot pour mot, en précisant que cette solution vaut, dans ces arrêts, bien sûr, tant pour les cas d’omission d’un ou de plusieurs créanciers de la liste, que pour les cas d’absence totale de liste…

 

Au fond, il faut certainement considérer que l’omission d’un créancier de la liste ou l’absence de liste entraine automatiquement un relevé de forclusion, la causalité avec le retard étant présumée de façon irréfragable (le caractère volontaire de l’omission n’étant plus nécessaire depuis 2014). La situation des créanciers retardataires en ressort fortement améliorée grâce à cette forclusion « de droit » qui donne toute son importance à la liste établie par le débiteur en application de l’article L. 622-6 alinéa 2 du Code de commerce (rappelons ici que depuis l’ordonnance précitée du 12 mars 2014 le débiteur, en vertu de l’article L. 622-24 3° du Code de commerce, est réputé avoir agi pour le compte du créancier en inscrivant la créance de ce dernier sur la liste…

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